Chatroulette, anatomie d’un buzz exhibitionniste ordinaire
Jean-Christophe Féraud revient sur le phénomène du moment, en analysant entre autres une étude américaine très récente. Chatroulette n'est pas sans lien de parenté avec la fameuse phrase de Wahrol, “un jour chacun aura droit à son quart d’heure de gloire”.

“Un jour chacun aura droit à son quart d’heure de gloire” prophétisait Andy Warhol en 1968… Fasciné par le potentiel de la télévision en tant qu’accélérateur de popularité ordinaire, le Pape du Pop-Art aurait sans aucun doute adoré Chatroulette ! Cette monstrueuse création d’un jeune programmeur russe de 17 ans, Andreï Ternovsky, pousse en effet la logique wharolienne encore plus loin en donnant vraiment à N’IMPORTE QUI la possibilité de s’offrir une petite minute de célébrité undergound.
Le jeune Andreï Ternovsky explique avoir créé ce site “pour s’amuser” : “je sentais ce que les autres adolescents voulaient voir sur Internet. J’aimais moi-même parler à des amis avec Skype en utilisant un micro et une webcam. Mais finalement on s’est lassé de se parler les uns les autres. J’ai donc décidé de créer un petit site pour moi et mes amis où nous pourrions nous connecter aléatoirement avec d’autres gens”, raconte-t-il dans la première interview qu’il a accordé au site Blog Bits du “New-York Times” (traduite ici en français par nos amis d’Owni).
On  y va le plus souvent animé d’une curiosité malsaine (”Oh mon dieu…sur  qui ou plutôt quoi vais-je tomber ?”), pour ressentir le frisson de la  rencontre du troisième type (plus destroy que sur Meetic)…et surtout dans  l’espoir d’y voir des femmes en tenue d’Eve quand on est un  geek solitaire normalement constitué. Las, en se connectant, l’impétrant  a presque 1 chance  sur 10 de tomber sur un homme dans le plus simple  appareil…se livrant à différentes manipulations onanistes.  Certains utilisateurs ont même croisé des nazis de pacotille en plein  ébats avec leur poupée (que l’on espère gonflable). Les autres  rencontres par webcams interposées peuvent être boutonneuses (délires  d’ados plus ou moins intelligibles), gênées (”Heu…on  a rien de se dire”), masquées (forcément façon  psychopathe type Hannibal Lecter), j’en passe et des  meilleures.  
Mais  le coup de génie du jeune concepteur de Chatroulette est  d’avoir prévu un bouton “Next” : on peut zapper en un clic le  crétin qui chante Manureva à tue-tête d’une voix de fausset, ou l’obsédé  qui vous montre son engin comme si c’était le Saint Graal… D’où cette  expression en vogue : se faire “nexter”. 
Pour  en savoir un peu plus sur ce qui vous attend, je vous renvoie sur cet  excellent reportage publié sur le site Abstrait/Concret sous le  titre évocateur “De l’art de socialiser en mâtant les seins”.  Un monument de gonzo-journalisme, j’ai adoré…alors que l’expérience  Chatroulette en elle-même aurait plutôt tendance à me déprimer. J’ai  testé 20 minutes :  je n’ai pas vu de créature montrant ses seins, que  des jeunots surexcités ou de pauvres hères, me suis  fait nexter toutes les 30 secondes (n’ayant rien d’autre à offrir que  mon air circonspect), ça m’a gonflé…mais il faut  peut-être que je persévère. Pour se faire une idée rapide en images,  vous pouvez aussi jeter un oeil sur ce Best of Chatroulette qui  collationne les “meilleures” captures d’écran. Instructif dans le genre  exhibo-narcissique débile. Mais forcément un peu lassant à la longue. 
A  voir tous ces petits égos désespérés crier dans le vide “regarde moi  j’existe” ou “par pitié montre moi tes seins”, on  pense forcément à un Houellebecq narrant la solitude et la misère  sexuelle du mâle occidental dans ses “Particules élémentaires”.  Un truc de looser Chatroulette ? A voir.
Sur un blog aussi serious que Mon écran radar, il nous fallait des chiffres pour prendre toute la mesure du phénomène. Bonne nouvelle, au hasard de mes divagations sur le Net, je suis tombé sur cette étude américaine toute fraîche en date du 1er mars : “Chatroulette : an initial survey”. C’est signé webecologyproject.org et c’est fort instructif. Ces gens là, des universitaires tout ce qu’il y a de plus sérieux, ont ausculté plus de 200 sessions de Chatroulette entre le 6 et le 7 février dernier. Ils ont aussi interviewé en direct live 30 utilisateurs du site. Autant dire qu’ils n’ont pas du dormir beaucoup et se payer une bonne tranche de rigolade…avant d’être rattrapé par la déprime post-traumatique.
Il  ressort en effet de cette étude de terrain que 87 % des  habitués de Chatroulette sont des hommes (pour les nuls en  calcul ça fait seulement 1 chance sur 10 seulement de tomber sur une  femme) et que la moyenne d’âge oscille entre 18 et 24 ans.  Andreï vous l’a bien dit : il a créé ce truc pour ses congénères… Là où  cela devient intéressant, c’est que l’enquête nous livre des stats  précises sur ce que l’on peut voir sur Chatroulette : 80 % des  gens postés face à leur webcam sont heu…”normaux”. Du moins en  apparence. C’est à dire habillés. Les adeptes en solitaire sont  fortement majoritaires (86 %), mais il y a aussi ceux qui pratiquent en  groupe : 13 % à deux, 1 % à trois ou plus… 
Mais,  attention ça se corse: 9 % portent un masque ou ont altéré leur  image façon photo-shop pour musée des horreurs. Et, heu… 7  % ne portent “rien”, bref se la jouent Cap d’Agde en direct de  chez eux (voilà qui devraient plaire à Houellebecq). Tandis que 5  % montrent explicitement leurs “parties génitales” précisent  doctement l’étude. Bien 7 + 5 ça nous ferait quand même 12 %  d’exhibitionnistes et autres obsédés de la chose sur le bien nommé  Chatroulette… Mais compte tenu de la taille relativement modeste de  leur échantillon, les chercheurs de webecologyproject estiment  plus raisonnablement le nombre réel des agités de la braguette “entre 5  et 8 %”.
Nos  amis universitaires qui ne s’arrêtent pas aux premières impressions  considèrent que “Chatroulette représente l’un des premiers exemples  contemporains de communauté en ligne par voie de probabilité”…  Après les réseaux sociaux classiques type Facebook où l’on retrouvait  ses amis, ceux comme Twitter où l’on construisait son audience par  agrégation méthodique de “followers”, le Web 3.0 serait donc en  train de donner naissance à des communautés totalement aléatoires…Wow  intello le concept !  Après tout plus on est  connecté, plus on est seul, moins on a de vrais amis, alors pourquoi pas  s’en remettre au pur hasard pour se socialiser un tant soit peu ? Voilà  qui devrait plaire à toute une génération de “No Life” bronzés à la  lumière blafarde de leur écran 19 pouces.
Mais  Chatroulette peut-il déboucher sur autre chose qu’une vaste cour de  récré pour ados attardés ou un nouveau terrain de jeu pour l’industrie  du X ? Certainement, estiment les auteurs de l’étude décidément  optimistes : “A mesure que la presse s’intéresse au phénomène et que  de nouveaux utilisateurs arrivent, de nouveaux usages non sexuels vont  se développer” avec du divertissement (pfff encore de l’humour LOL à  deux balles), mais aussi des contenus plus créatifs voir artistiques.  Art-Vidéo ? Installations visuelles ? Happening en direct de la Factory ?  C’est ce bon vieil Andy qui serait content. Les auteurs de l’étude  prédisent même l’avènement de véritables stars de Chatroulette qui  pousseront les gens à se connecter dans l’espoir d’assister à un show  one to one. Un jour, grâce à cette révolution médiatique permanente  nommée Internet tout le monde sera célèbre, ne serait-ce qu’une  petite minute : Warhol ne savait décidément pas à quel point il  avait raison.
Billet initialement publié Sur Mon Ecran Radar





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