Japon: casser le monopole de l’information
Au pays du soleil levant, l'accès à l'information est très contrôlé : il faut passer par des “kisha club”, des clubs des journalistes très fermés. Un système que les journalistes freelance cherchent à contourner via les TIC.
 [Liens en anglais sauf mention contraire] Pendant que les citoyens  de nombreux pays découvrent comment se servir des nouvelles technologies  pour se faire entendre, au Japon, ce sont les journalistes freelance  qui défient les médias de l’establishment, dont ils entendent bien se  démarquer.
[Liens en anglais sauf mention contraire] Pendant que les citoyens  de nombreux pays découvrent comment se servir des nouvelles technologies  pour se faire entendre, au Japon, ce sont les journalistes freelance  qui défient les médias de l’establishment, dont ils entendent bien se  démarquer.
Il faut savoir qu’au Japon le flux de l’information était jusqu’à présent contrôlé par un système appelé le “kisha club”.
La traduction littérale de kisha club est “club des journalistes” ou “club de la presse” et décrit les “cellules d’information” qui sont présentes dans quasiment toutes les institutions publiques telles que les ministères, la police, les administrations d’entreprises, etc., et dont l’une des fonctions est de gérer les conférences de presse des institutions qu’ils couvrent.
Comme le détaille leur charte :
“À une époque où des informations fiables réunies selon  des méthodes sérieuses et basées sur le code de l’éthique des médias  sont de plus en plus recherchées, les kisha clubs ont la responsabilité  sociale de contrôler l’exercice du pouvoir public par les officiels et  de rechercher la transparence de l’information provenant des  institutions publiques.  C’est la responsabilité des membres du kisha  club et des participants à leurs conférences de remplir ce rôle  important.”
Seuls les journalistes travaillant pour quelques médias traditionnels  sont autorisés à être membres et, par conséquent, à assister aux  conférences organisées par les kisha clubs.
Les journalistes freelance – et souvent les média étrangers – en sont  exclus.  S’ils sont autorisés à assister à ces conférences, ils ne  peuvent pas poser de questions.
Twitter et Ustream
Le 13 février Takashi Uesugi [en japonais], l’un des journalistes indépendants les plus populaires au Japon, qui demande l’ abolition du système du kisha club, tweetait [en japonais] :
Twitter et Ustream ont contourné les clubs de la presse qui jusqu’à présent monopolisaient la dissémination de l’information. Les modalités du fonctionnement du système du kisha club ne sont même pas connus au Japon. Refuser l’anonymat du pouvoir public est une règle évidente du journalisme.
Signe d’un changement de cap, des représentants du gouvernement élu l’année dernière ont décidé d’ouvrir leurs conférences de presse à tous les journalistes professionnels. Ceux des médias en ligne ont saisi l’opportunité et commencé immédiatement à couvrir les conférences de presse avec l’équipement leur permettant de diffuser en direct.
En septembre dernier, Tetsuo Jimbo,  un vidéo-journaliste vétéran, éditeur et PDG de videonews.com rapportait cette  nouveauté : une conférence de presse ministérielle ouverte à tous les  journalistes professionnels. “Annonçant le principe de base de cette nouvelle  politique, M. Okada, ministre des Affaires Étrangères, déclarait : ‘En  principe, j’ouvrirai (les conférences de presse) à tous les médias, y  compris ceux qui ne font pas partie du kisha club [de ce ministère].’
[…] Jusqu’à aujourd’hui, les journalistes d’un groupe qui avait un kisha  club devaient déjà réussir à y être admis et en raison des politiques  internes de chaque compagnie, ne pouvaient pas assister à tous les  événements de leur choix.
Maintenant, et selon la nouvelle politique, [à part les journalistes  indépendants, les journalistes de magazines et des médias en ligne] tous  les journalistes qui travaillent pour une organisation membre peuvent  assister à n’importe quelle conférence.  Cela veut dire que, par  exemple, un journaliste de Asahi qui fait partie d’un certain  club n’aura pas à avoir de regrets s’il souhaite assister à une  conférence d’un autre club que celui auquel il est assigné. Ou un  directeur de la chaine NHK qui travaille pour des shows comme Close  Up Gendai ou NHK Special ne sera pas gêné pour filmer ou  assister à une conférence d’un autre ministère par un collègue  journaliste NHK qui couvre habituellement ce ministère. Et ces  incidents ridicules (parce qu’il y en a eu) ne se produiront plus.”
Conférence de presse en direct
L’outil en ligne de retransmission vidéo Ustream, en particulier, a servi de source alternative pour contourner le filtrage du flux d’informations par les média traditionnels.
Un autre cas bien connu est celui du populaire site de partage de vidéos Nico Nico Douga qui jusqu’à l’année dernière offrait une retransmission en direct à ses utilisateurs [en japonais]. Le staff assiste maintenant régulièrement à la conférence de presse hebdomadaire du ministère des Affaires étrangères et offre l’opportunité aux utilisateurs de communiquer avec le présentateur. Non seulement ils peuvent assister à l’évènement en direct, mais ils peuvent aussi poser des questions sur une page web. Les questions sont reprises par le staff de Nico Nico Douga et posées au ministre. D’après le site de Nico Nico Douga [en japonais], leurs utilisateurs ont ainsi pu poser des questions sur les bases militaires américaines, les activistes de l’ONG Sea Shepherd, le soutien de l’Afghanistan par le Japon etc.
[Retransmission en direct de la conférence du ministre des Affaires étrangères Okada sur Ustream par Yasumi Iwakami le 29 juin] (en japonais)
Le blogueur nob1975 commente l’opportunité que les citoyens et les internautes japonais ont  maintenant de voir les conférences de presse avant que la télévision et  la presse ne les traitent et ne les filtrent :
“Maintenant, les citoyens ont une chance  d’accéder à  la source de l’information.  Je me demande s’il y a jamais  eu une telle opportunité par le passé ?  Nous vivons une époque où les  politiciens peuvent parler directement aux citoyens sans passer par les  kisha clubs ou participer à des “programmes d’information” qui font  partie des programmes de divertissement, à des spectacles de variété qui  traitent les sujets politiques comme un sujet de divertissement ou à  des “talk shows” où le présentateur mène la conversation.
Je pense que c’est merveilleux.
[…]
J’ai l’impression d’avoir vécu un des ces moments fondateurs d’une  nouvelle époque.”
Des journalistes indépendants comme Takashi Uesugi, cité précédemment, ou le journaliste très admiré Yasumi Iwakami [en japonais] se sont aussi servis de Ustream pour créer des débats ouverts spécifiquement sur le “système des kisha clubs”, pour attirer l’attention des japonais sur la nature souvent biaisée et limitée des informations qu’ils reçoivent. Un exemple est le débat entre Uesugi et l’économiste Nobuo Ikeda [en japonais] sur “les fuites organisées par la police dans les média”.
Voici ce que l’on peut lire sur le profil de Iwakami sur Ustream :
“Le journaliste libre Yasumi Iwakami, va partout, interviewe tout le monde et, quand c’est possible, transmet l’information directement : interviews, débats, conférences de presse, etc.”
Enfin, Hiroshi Hirano, éditeur du magazine quotidien par email Electronic Journal, qui critique le monopole de l’information comme contraire aux principes de la démocratie, met en garde contre les dangers créés par le pouvoir des médias :
“Si une source a le monopole de l’information, elle devient une forme de pouvoir et peut facilement être manipulée par les politiciens ou les bureaucrates dans leur propre intérêt.”
—
Billet initialement publié sur Global voices sous le titre “Japon : les journalistes freelance utilisent les NTIC pour contourner le monopole de l’information”
Image CC Flickr purplemattfish


Laisser un commentaire